Le Berceau est l’une des neuf œuvres envoyées par Berthe Morisot, la seule femme à avoir participé à l’exposition inaugurale de 1874. Nées dans une famille bourgeoise (leur père était préfet du Cher), Berthe et Edma Morisot furent encouragées à cultiver leur passion pour la peinture. Le paysagiste Camille Corot fut leur professeur, leur apprenant à interpréter en plein air le langage de la lumière. Rapidement, le talent des deux sœurs fut remarqué. Édouard Manet, qui fréquentait le même cercle social, tint ces propos à leur égard, décevants mais révélateurs de leur l’époque : « c’est fâcheux qu’elles ne soient pas des hommes ». Une admiration mutuelle et sincère s’installa toutefois entre Edouard Manet et Berthe Morisot, qui posa pour lui à de nombreuses reprises.
Cette œuvre, certainement la plus célèbre de l’artiste, représente une femme assise près d’un berceau orné d’un ruban rose. Il s’agit d’Edma, la sœur de l’artiste, veillant sur sa fille Blanche. En 1869, Edma Morisot avait épousé un officier de marine, Adolphe Pontillon et était partie s’installer à Lorient. Dès lors, elle ne peignit plus, ou presque.
Les voiles de mousseline qui encadrent la composition jouent un rôle pictural essentiel, puisqu’ils ils créent un subtil jeu de transparences qui met en évidence toute une palette de reflets colorés. Mais ils participent également du sens de l’œuvre : ils forment tout d’abord un doux cocon autour de l’enfant et de sa mère, qui tire sur le voilage du berceau, comme pour préserver l’intimité de la scène.
Ce geste crée une ligne diagonale qui agit comme un miroir. Les gestes des deux personnages se répondent, chacune portant une main à sa joue. Cette synchronisation rend palpable le lien mère-fille. De surcroît, la ligne diagonale du rideau à l’arrière-plan souligne la sollicitude de la jeune femme qui observe sa fille dormir paisiblement.
Cependant l’attitude de la mère fait écho à celle de la célèbre gravure Melencolia (1514) d’Albrecht Dürer. L’artiste a sciemment choisi de faire référence à la mélancolie dans l’œuvre pour évoquer les sentiments ambivalents que peuvent générer une naissance. Ici, l’amour protecteur est mêlé au poids de responsabilités nouvelles qui, dans le cas d’Edma, ont sonné le glas de ses ambitions artistiques. La diagonale séparant la mère et son enfant pourrait alors également être interprétée comme le symbole de ce renoncement.
Berthe Morisot, souhaitant se consacrer à son art, attendit quelques années encore avant de devenir mère à son tour, bien qu’elle se mariât en 1874 à Eugène Manet – frère d’Edouard. Grâce au soutien de son époux, la naissance de leur fille Julie ne contraria pas la carrière de Berthe Morisot, qui continua à exposer sous son nom de naissance, et inspira au contraire de nombreux tableaux.
Il doit être difficile de peindre la transparence, bravo !
Il est intéressant de lire que les sœurs étaient encouragées à peindre quand avec leurs parents – cela devait être une situation inhabituelle a cette epoque? Et puis, de lire leur différentes trajectoires.
La peinture était plutôt bien vue pour les jeunes filles de bonne famille, tant que cela restait une activité de loisir. Il était plus inhabituel d’être autorisée à poser pour des peintres (ce que Berthe Morisot fit pour Manet mais toujours accompagnée) et surtout de pouvoir exposer des œuvres manière professionnelle, a fortiori une fois mariée. Elle se détache également des sujets convenus et souvent « réservés » aux femmes comme les bouquets de fleurs réalisés au pastel.
Merci bien