Alfred Sisley, né à Paris, était le fils d’un négociant britannique aisé. Après un séjour en Angleterre censé le former au commerce, il préféra se consacrer à la peinture. Installé à Marly-le-Roi en 1875, il fut aux premières loges pour observer la crue de la Seine qui, au printemps suivant, inonda Port-Marly, sur la rive gauche entre Bougival et Saint-Germain-en-Laye. L’événement présenta un riche intérêt visuel pour Sisley, qui créa une demi-douzaine de toiles, en déclinant les points de vue pour capter les variations atmosphériques dans différentes compositions.
Cette version représente la boutique du marchand de vin « À St-Nicolas », située à l’angle de la rue Jean-Jaurès et de la rue de Paris (anciennement la route de Saint-Germain). Malgré la catastrophe naturelle qui vient de se jouer, on est immédiatement frappé par la tranquillité qui se dégage du tableau. Plutôt que de dépeindre les aspects dramatiques de l’inondation, Alfred Sisley explore avec intérêt la métamorphose de Port-Marly en cité flottante.
Comme souvent chez Sisley, la composition est solidement agencée, avec des lignes horizontales et verticales qui structurent le paysage. A côté du bâtiment massif à gauche, un débarcadère s’est improvisé. Quelques barques y sont amarrées, et constituent un point d’avancée vers les eaux qui continuent de se déployer vers l’horizon. Cette maîtrise de la perspective, combinée à l’importance accordée au ciel évoque les paysagistes hollandais du XVIIe siècle tels Jacob van Ruisdael. Comme chez Ruisdael, les personnages ne retiennent que peu l’intérêt du peintre. Sisley les esquisse sommairement, étant bien plus intéressé par l’étude de la lumière et de ses reflets.
Alfred Sisley était certainement l’impressionniste le plus dévoué à la peinture en plein air, comme le montre son travail en série. L’eau de la Seine lui permet ici de créer un miroir géant, animé de petites touches morcelées. La palette colorée est contrastée, mais forme une harmonie d’ensemble. L’orange du rez-de-chaussée, interrompu par l’éclatant rectangle noir de la porte, se retrouve ainsi mêlé au brun au niveau des tuiles du toit. Ces nuances se retrouvent dans l’allée de châtaigniers. De même, le beige rosé du premier étage trouve un écho dans les nuages.
Quant au bleu du ciel, il se retrouve reflété au centre du premier plan, qui constitue la zone la plus claire du tableau. C’est sans doute dans ce ciel orageux que le peintre libéra le plus sa touche pour rendre les formes mobiles et évanescentes de nuages, pourtant lourds et chargés de pluie. Mais tout comme l’eau est à peine troublée par ses ondulations, le lyrisme du peintre est soumis au calme de l’ensemble.
Les huit œuvres présentées par Sisley à la seconde exposition impressionniste furent plutôt bien accueillies, notamment celles traitant de l’inondation : « Peut-être est-ce là le meilleur morceau de l’exposition des intransigeants », écrivit un certain M. Bigot, tandis que G. d’Olby ajoute qu’ « on irait volontiers dans cette auberge manger une friture de goujons pêchés sous la fenêtre », montrant à quel point les tableaux de Sisley suscitent une adhésion du spectateur à l’atmosphère.
Merci Charlotte, j’aime lire votre commentaire.
Merci 🙂