L’industrie ferroviaire, qui se développa en France à partir des années 1820, métamorphosa Paris avec la création de nouvelles infrastructures, alliant modernité et ingénierie métallique. La gare Saint-Lazare, desservant la côte normande, fut la première de sept à voir le jour en 1837, suivie de près par la gare du Nord, la gare de l’Est et la gare de Lyon. En 1877, Claude Monet se tourna vers les paysages urbains, motivé par les appels des critiques Duranty et de Zola à peindre la réalité contemporaine, et inspiré par des artistes comme Manet, Degas ou Caillebotte. Pour Monet, nouvellement installé dans le quartier parisien de la Nouvelle-Athènes, peindre la gare Saint-Lazare toute proche, agrandie entre 1841 et 1852, s’imposa comme une évidence.
Monet sollicita l’autorisation de travailler à la gare Saint-Lazare, et fut captivé non seulement par l’architecture de la gare et la modernité du sujet, mais aussi et surtout par les jeux changeants de lumière, la dynamique du mouvement et les tourbillons de fumée et de vapeur, associés aux effets atmosphériques. Claude Monet entama un ensemble de peintures de la gare et de ses environs, dont six furent exposées lors de la troisième exposition impressionniste. Le Pont de l’Europe. La Gare Saint-Lazare montre une vue extérieure de la gare, avec un viaduc (aujourd’hui disparu) érigé en 1863. Dominant la composition, il plonge le spectateur au cœur d’un environnement urbain en pleine mutation. La diagonale de l’aqueduc structure la composition, accordant une place monumentale à la construction. Installé au niveau de la voie ferrée, Monet parvint à saisir l’atmosphère singulière du lieu en restituant le ballet insaisissable des vapeurs qui montent dans les airs et se confondant avec les nuages.
La liberté de la touche de Monet est particulièrement remarquable, même sur les éléments solides – observez par exemple les quelques traits jaunes sur la locomotive en bas à gauche du Pont de l’Europe. De même, les cheminots sont à peine esquissés, à l’instar des voyageurs sur la droite dans La Gare Saint-Lazare. Dans les deux toiles, les effets colorés et lumineux prennent le pas sur le détail des machines ou des personnages. Le tableau du musée d’Orsay, La Gare Saint-Lazare, se détache tout particulièrement en ce qu’il décrit une journée ensoleillée avec une palette éclatante de bleus, roses, violets, ocres, jaunes, mais aussi gris, noirs et blancs. Le mariage de lumière et de vapeur remplit la toile, mais Monet laisse aussi apparaître le Pont de l’Europe et les immeubles haussmanniens au fond, ainsi que les locomotives, bien que les formes soient dissoutes dans une épaisse brume industrielle. Malgré la géométrie de l’architecture métallique, certaines zones de la toile deviennent des morceaux de peinture pure, aboutissant à une vision quasi abstraite. Monet avait certainement en mémoire Rain, Steam and Speed (1844), la célèbre toile de Joseph Mallord William Turner conservée à la National Gallery, et que le peintre avait vue lors de son exil londonien en 1870-1871.
Si les vues de la gare Saint-Lazare plurent notamment beaucoup à Gustave Caillebotte qui, malgré son style très différent, présenta à l’exposition de 1877, sa propre version du Pont de l’Europe (conservé à Genève aujourd’hui), une fois n’est pas coutume : certaines critiques furent virulentes. Dans la Gazette des lettres, des sciences & des arts du 20 avril 1877, Amédée Descubes-Desgueraines surnomma Monet « le peintre de locomotives » et écrivit à propos de ses œuvres : « Malheureusement une fumée épaisse s’échappant de la toile nous a empêché de voir les six tableaux consacrés à cette étude. ». Quant au journal Le Pays, il publia le 9 avril 1877 une chronique rédigée par Georges Maillard à propos de l’exposition impressionniste. Le sentiment général est sans équivoque : « c’est du parti pris dans l’horrible et dans l’exécrable ; on dirait que cela a été peint, les yeux fermés, par des hommes aliénés, mélangeant au hasard les couleurs les plus violentes sur des palettes de fer blanc. ». Quant aux tableaux de la « gare de l’Ouest » par Monet, il dit à leur propos : « Et des rails, et des lanternes, et des aiguilleurs, et des wagons, et surtout, toujours ces flocons, ces brouillards, ces nuages de vapeur blanche, si épais parfois qu’ils cachent tout le reste. »
Merci pour ces 2 tableaux. Les critiques réagissent contre la fumée, mais elle était pourtant bien présente, er sans doute pas aussi lumineuse que comme peinte par Monet, sans doute plus grise et noire et chargée de suie… Ces critiques devaient frustrer les peintres!
Merci Odile, je suis d’accord avec vous! Il s’agit vraisemblablement d’une réaction au sujet en lui-même, qui n’était pas considéré par certains comme étant digne d’être représenté…