« En dépit de l’adage qui veut que les plus courtes plaisanteries soient les meilleures, les impressionnistes ont rouvert leur exposition cette année » écrivit Paul Parfait pour Le Charivari le 17 avril 1879. La quatrième exposition impressionniste, avait effectivement ouvert ses portes le 10 avril 1879, et malgré ses détracteurs, connut un grand succès populaire, avec quatre fois plus de visiteurs que la première exposition de 1874. Les critiques négatives furent moins nombreuses, démontrant l’acceptation progressive de l’impressionnisme par le public. Arsène Houssaye, sous le pseudonyme de F.C. de Syène, observa notamment dans L’Artiste : « Graduellement, l’impressionnisme impose son caractère à l’art moderne. Au Salon, chaque année il conquiert une place plus large. Il s’y est glissé d’abord timide, inquiet, presque furtif. Aujourd’hui il s’y montre sans trop de vergogne. Plus tard, peut-être, y fera-t-il la loi ».
Entre 1866 et 1883, Camille Pissarro réalisa au moins trois cent œuvres autour de Pontoise. Le Fond de l’Hermitage, Pontoise se détache comme l’une de ses toiles les plus importantes, du point de vue technique mais aussi par ses dimensions monumentales. Sans doute Pissarro, qui connaissait alors de grandes difficultés financières, espérait-il impressionner le public, et présenter la toile au Salon par la suite, à l’instar de Pierre Auguste Renoir qui préféra l’exposition officielle à celle des indépendants cette année-là. L’Hermitage, un hameau densément peuplé et collé à Pontoise, se modernisait progressivement. Or, Camille Pissarro nous en offre une vue rurale, et qui lui était très familière car elle se trouvait à moins de 500 mètres de son domicile.
Une chèvre, vue de dos, se tient à côté d’un personnage vêtu de bleu, endormi dans l’herbe. Ces figures invitent le spectateur à rentrer dans le tableau, qui présente un agencement complexe de troncs d’arbres qui ne permet pas au regard de se projeter au loin. Néanmoins, les nuances subtiles du coloris, avec les gris doux et verts sourds, de même que l’arrangement des ombres et des lumières, créent malgré tout un effet de perspective – le pignon d’une maison éclairé par le soleil fait alors office de point de fuite. Cette composition trouve son origine dans des études de forêts d’artistes de l’école de Barbizon, tels que Narcisse Diaz de la Peña ou Théodore Rousseau. La présence de la chèvre, quant-à-elle, rappelle certains paysages de Courbet incluant des cerfs.
Le traitement pictural de Camille Pissarro est toutefois bel et bien impressionniste. Son traitement de la lumière est en cela bien plus proche de Renoir que des peintres de Barbizon (par exemple, Le Peintre Jules le Cœur et ses chiens dans la forêt de Fontainebleau, 1866). Outre l’audace formelle d’avoir osé éliminer l’horizon, il restreint sa palette à des couleurs pures, appliquées selon des touches diagonales quasi-systématiques, qu’il comparait à du tricot. L’œuvre témoigne d’une recherche constante d’innovation de la part de Pissarro, qui parvient à garder une sensation d’espace et de clarté avec des vibrations optiques. Les teintes vertes sont mises en valeur, non seulement par l’épaisseur de la touche qui accroche la lumière, mais aussi par la juxtaposition de petites touches de rouge – subtiles mais néanmoins visibles, qui rendent l’ensemble de la surface chatoyante.
Paul Cézanne, qui travailla étroitement avec Pissarro à cette époque, reprit ce dispositif de « rideau » d’arbres dans ses œuvres plus tardives, notamment autour du motif du Château Noir. Mais là où Cézanne simplifiait ses formes et rendait visible l’élaboration de ses surfaces à travers des touches constructives, le style de Pissarro présentait des contrastes plus subtils et une manière plus homogène. Comme l’écrivit Louis Edmond Duranty dans son compte-rendu de la 4e exposition impressionniste : « M. Pissarro est sans contredit doué d’une grande sensibilité et d’une grande délicatesse. »
Je découvre ce tableau, merci. Il est un peu sombre sur l’ordinateur mais c’est mieux que de ne pas le voir, et de plus il est accompagné de votre commentaire, et j’espère donc avoir la chance de pouvoir le voir en réalité un jour 🙂
Oui ! il y a beaucoup de verts finalement donc il faut bien regarder pour s’y retrouver.