En 1878, Claude Monet écrivit dans une lettre : « J’ai planté ma tente au bord de la Seine à Vétheuil dans un endroit ravissant ». Suite à des difficultés financières, il avait quitté Paris à l’été 1878 pour emménager dans une petite maison sur la route de Mantes avec son épouse Camille (dont la santé se dégradait), ses deux fils…mais aussi la famille Hoschedé, qui avait perdu son appartement parisien et son château de Montgeron. Monet commença alors à peindre frénétiquement pour tenter de vendre des toiles. Si ses premières peintures sont empreintes d’un sentiment d’inquiétude et de tristesse de la part du peintre, qui écrira avoir participé à la quatrième exposition impressionniste « à contrecœur et pour ne pas passer pour un lâcheur », le printemps 1879 lui apporta un regain d’optimisme. Subjugué par la beauté de Vétheuil, radicalement différent de Paris ou d’Argenteuil, ce cadre rural et pittoresque, baigné par la Seine, lui inspira un ensemble de tableaux qui marquèrent un tournant dans sa vie et son œuvre.

La Seine à Vétheuil, effet de soleil après la pluie, témoigne du talent de Monet à capter l’essence d’un paysage, et en particulier le caractère changeant de ses effets lumineux et atmosphériques. Le peintre représente la partie Sud de Vétheuil, avec le coteau du Chênay. Mais la seconde partie du titre est éloquente : le peintre souhaite saisir le moment précis où les rayons du soleil transpercent les nuages après une averse, illuminant la scène d’une lumière douce et dorée. Cette transition entre la pluie et le soleil crée des reflets chatoyants sur la Seine, dont la surface est encore agitée par les gouttes de pluie. La scène fut vraisemblablement observée par Monet en fin de matinée, puisque la rangée de bâtiments est en plein soleil, tandis qu’au milieu du fleuve, l’ombre des saules se prolonge vers le hameau de Lavacourt, sur la rive opposée, où il s’était installé dans son bateau-atelier.

L’œuvre révèle l’attachement de Monet à son nouveau lieu de résidence et dégage une atmosphère de sérénité et de tranquillité. L’ensemble de la toile resplendit de lumière, grâce à sa large gamme de valeurs – la juxtaposition de couleurs claires et sombres, qui donnent un effet de profondeur – et son utilisation de teintes complémentaires. Mais au-delà de ces aspects techniques, une forme d’unité se ressent dans le paysage. Les maisons, représentées dans des tons rouges-orangés, contrastent certes avec la végétation environnante. Toutefois, leur traitement pictural est identique au reste du tableau. A l’exception du ciel, qui présente des touches plus larges, Monet utilise partout les mêmes petites touches vibrantes. Aussi les habitations se fondent-elles harmonieusement dans le paysage, créant une impression de symbiose entre l’homme et la nature. Les reflets dans la rivière rassemblent les éléments naturels et architecturaux de la scène dans une composition visuellement cohérente et équilibrée.

La composition plaçant l’eau au premier plan, qui rappelle les paysages de bords de l’Oise par Charles François Daubigny, de même que la ligne bleue marquant les ilots inondés par le haut niveau de la Seine, isolent le village de Vétheuil et le rendent anonyme. On ne reconnait nulle-part, par exemple, le clocher de l’église, que Monet a pourtant peint dans de nombreux autres tableaux de l’époque. La captation de l’effet éphémère du soleil après la pluie est la préoccupation principale de Monet, annonçant son travail plus tardif. La maîtrise virtuose des tons confère un lyrisme à ce tableau, qui est un exemple paradigmatique de l’impressionnisme : tout en représentant un instant éphémère, le peintre nous offre une vue idyllique et intemporelle de son nouveau lieu de vie, nous faisant partager son ressenti devant le paysage.