L’exposition des « Indépendants » de 1879 constitua un réel tournant dans la carrière de Mary Cassatt. Parmi sa douzaine d’envois, sa Petite fille dans un fauteuil bleu, fut initialement créée pour l’Exposition universelle de 1878, mais n’y fut pas acceptée. L’œuvre témoigne néanmoins de sa pleine adhésion à l’impressionnisme : avec une palette réduite et des coups de pinceau vibrants, elle parvint à créer un jeu de formes dynamique pour évoquer un instant éphémère du quotidien, entre repos et jeu. Peindre des enfants intéressa les impressionnistes (n’est-ce pas là le sujet spontané par excellence ?) – même ceux qui, comme Edgar Degas ou Mary Cassatt, ne furent jamais parents. Mary Cassatt, qui s’était jusque-là concentrée sur des modèles féminins, commença progressivement à explorer la thématique de la maternité, mais aussi de l’enfance en tant que telle, écrivant
Ici, une fillette est assise nonchalamment sur un fauteuil bleu bien trop grand pour elle, dans une pièce contenant trois autres sièges assortis. Il s’agit vraisemblablement d’une salle de réception qui ne contient aucun autre meuble ni objet : il n’y a donc aucune distraction, d’autant que le cadrage serré – inspiré de l’art japonais des estampes ukiyo-e – coupe en grande partie les fenêtres, qui n’offrent guère de vue sur l’extérieur. Tandis que l’enfant, absorbée par ses pensées, regarde au loin, complètement indifférente à la présence de l’artiste, un petit chien fait la sieste sur le fauteuil à ses côtés.
C’est à Edgar Degas que Mary Cassatt doit ses deux modèles : le père de l’enfant était l’un de ses amis, tandis qu’il avait acheté le chien (un griffon de Bruxelles) auprès de Ludovic-Napoléon Lepic, un impressionniste passionné de chiens, pour l’offrir à Cassatt. Dans le tableau, l’animal forme un contrepoint idéal aux teintes sombres du châle en tartan que la petite fille porte autour de la taille. Des analyses scientifiques menées sur la toile ont montré que Petite fille dans un fauteuil bleu fut reprise par Degas lui-même. Le coin de la pièce présente des traces de grattages, une technique fréquente chez Degas mais rarement utilisée par Cassatt. L’imagerie infrarouge a, en outre, révélé que Cassatt avait initialement utilisé une ligne horizontale pour marquer la bordure du sol. Degas a créé le coin, introduisant ainsi une diagonale qui étire l’espace de la pièce.
Le chromatisme de l’œuvre est frappant, avec notamment l’association du bleu turquoise et du sol gris-brun. La lumière pénètre dans le tableau par les fenêtres, mais aussi de manière frontale, mettant en valeur la texture satinée et le motif fleuri sur la garniture des fauteuils. Ces derniers contiennent – une fois n’est pas coutume – des couleurs complémentaires : les touches orangées vibrent contre le fond, de même que des juxtapositions de rouge et de vert. Le plan incliné, quant à lui, dynamise le haut de la toile occupé uniquement par le mobilier qui paraissent s’empiler, et parait alors, à l’instar de la petite fille, se situer entre langueur et agitation.
Les vêtements de l’enfant trahissent son appartenance à la haute bourgeoisie. Elle a été habillée avec soin en tenant compte des modes de l’époque. Le châle à carreaux est assorti au nœud dans ses cheveux soigneusement attachés, et aux chaussettes, contenues dans ses chaussures parfaitement cirées. Ce formalisme, cependant, ne semble toutefois pas intéresser la petite fille, dont la pose désinvolte et insouciante présente une image radicalement moderne de l’enfance. Ce contraste saisissant rend visible l’ennui et l’impatience que ressent un enfant soumis aux contraintes sociales du monde adulte. La rébellion discrète dans la pose désinvolte, fait finalement penser à l’image de Mary Cassatt elle-même, qui réussit à se forger une place d’artiste reconnue dans un monde dominé par les hommes.
Je découvre cette peinture de Mary Cassatt, et elle me plaît, me touche beaucoup – tant par les couleurs, l’angle de vue, que le sujet, la lassitude de cette enfant !!! Et je trouve incroyable que l’on puisse dire que Degas a retouché ce tableau… et non Mary Cassatt, même si elle a peu utilisé cette technique de grattage…
Merci Elisabeth pour votre commentaire! c’est vraiment l’une de mes préférées aussi. En l’occurrence, l’intervention de Degas sur la toile est avérée – Cassatt et lui avaient une relation artistique assez approfondie, et elle parla du tableau dans une lettre à Ambroise Vollard en 1903 où elle évoque sa déception quant au refus du tableau à l’exposition universelle, malgré les conseils et le travail de Degas sur le fond 🙂
Je suis en harmonie avec tes pensées sur ce tableau, Elisabeth 🙂
🙂
J’en suis heureuse ! J’en profite pour te féliciter de tous tes commentaires …