La Rue Saint-Denis. Fête du 30 juin 1878 est souvent interprétée à tort comme une célébration du 14 juillet. Mais le tableau représente en réalité la première fête nationale après la guerre franco-prussienne, décrétée par le gouvernement en place pour célébrer la paix et le travail. Le 1er mai 1878 avait ouvert l’Exposition universelle, qui devait faire oublier le traumatisme de la défaite de 1870, puis du siège et de la Commune. Claude Monet, qui se trouvait à Paris pour cette occasion, créa une image saisissante de l’optimisme de la France, après les affrontements entre républicains et monarchistes qui avaient secoué la IIIe République l’année précédente.
La rue Saint-Denis à Paris, située dans un quartier populaire, est en pleine effervescence, animée par la foule en liesse. Le point de vue plongeant depuis un balcon permet au spectateur de surplomber la scène, tout en le plaçant au cœur de l’action, ce qui n’est pas sans rappeler celui que Monet avait choisi pour son Boulevard des Capucines, présenté à la première exposition impressionniste de 1874. Mais ici, le regard est immédiatement happé par la multitude de drapeaux tricolores qui flottent dans les airs, vibrant de couleurs pures. Les frères Goncourt écrivirent le lendemain dans leur journal que même les corbillards transportant les défunts étaient pavoisés. A droite, l’un d’eux porte le message « Vive la Rép[ublique] », témoignant de l’engagement politique de l’artiste.
L’énergie de la fête est palpable, et pleinement soutenue par le style de Claude Monet, qui profita pleinement de l’aubaine de couleur, de lumière et de mouvement. La composition est extrêmement dynamique, construite autour d’une perspective montante, rassemblant deux triangles qui se répondent : le ciel d’une part, la foule qui déferle dans les rues d’autre part. Quant aux touches, posées avec des gestes rapides, elles paraissent enflammées : les coups de pinceaux exaltés traduisent l’enthousiasme national. À tel point que la bannière « VIVE LA FRANCE », que Monet représenta en bleu avec davantage de soin et d’effacement, n’est pas immédiatement perceptible.
Monet ne semble pas avoir réellement vu cette bannière, qui n’apparaît d’ailleurs pas dans la toile jumelle qu’il peignit le même jour, La Rue Montorgueil. Il s’agit certes d’une rue différente, mais si l’on compare les deux toiles, celle du musée d’Orsay semble avoir une plus grande unité de traitement et mettre davantage en évidence les personnes constituant la foule. Dans La Rue Saint-Denis, ils sont moins distincts. Aussi, le « VIVE LA FRANCE » ajouté par Monet ne pourrait-il pas évoquer visuellement les paroles scandées par le peuple, tout comme les touches gestuelles des drapeaux évoquent le mouvement de ces derniers ? Le fait que l’œuvre ait été achetée par un compositeur, Emmanuel Chabrier, semble en tout cas confirmer sa dimension sonore.
Si le Charivari ne put s’empêcher de critiquer le tableau: « Les taches multicolores […] sont réjouissantes à l’œil, à la condition de ne pas les regarder trop longtemps; car elles finiraient par donner de l’ouvrage à l’oculiste » (!), d’autres furent plus enthousiastes. Armand Silvestre écrivit, dans La Vie Moderne du 24 avril 1879 : « Quel grouillement de populaire sous ces oriflammes, et comme le vent les secoue dans la lumière ! On dirait une tempête et les flots battant un navire aux voiles tricolores ». La verve de Claude Monet fut remarquée à la quatrième exposition impressionniste, et continua d’inspirer bien des décennies plus tard, comme en attestent, par exemple La Rue pavoisée du fauve Raoul Dufy (1906), ou encore Jours des Alliés de l’Américain Childe Hassam (1917).
On a vraiment l’impression de faire partie de la fête avec ce tableau ! Et, Charlotte, quel choix judicieux pour le jour où la flamme olympique arrive en France…
Ahah! C’est un hasard complet même si j’ai pensé aux festivités des JO en rédigeant le commentaire! 😉
Comme Elisabeth, je me sens complètement emportée par cette mer de drapeaux. Monet a dû être vraiment fasciné par ces touches de couleurs pour peindre 2 toiles sur le sujet le meme jour !
Je ne vois pas la bannière Vive la France (!?), je vois celle Vive la République. Effet de l’écran de mon ordi ?
Est-ce Rue Saint Denis à Orsay, ou bien Rue Montorgueil ?
Merci bien, toile exaltante 🙂
La Rue Saint Denis est au musée des beaux-arts de Rouen, celle de Montorgueil est à Orsay !
Et pour la bannière, elle est discrète: il faut regarder au niveau du mât du drapeau qui traverse la rue (au 1e tiers du tableau à partir du haut). Le “Vive” se trouve à gauche entre l’extrémité de la toile et la partie rouge 😉
Ah, oui, je la vois maintenant ! Merci bien ☺️