Contrairement à d’autres peintres impressionnistes, Edgar Degas ne s’est jamais réellement intéressé à la peinture de paysage en plein air, préférant dépeindre la réalité de la vie urbaine dans la capitale moderne qu’était devenue Paris après les rénovations menées par Haussmann. Aussi choisit-il généralement des scènes d’intérieur, se concentrant plus particulièrement sur des lieux de spectacle, de loisir et de divertissement, comme ici le Café de la Nouvelle Athènes, un lieu de rencontre apprécié des impressionnistes qui se trouvait au 9, Place Pigalle.

Loin d’une ambiance festive toutefois, Dans un café (dit aussi L’Absinthe) décrit la détresse et l’isolement de deux personnages, bien qu’assis côte à côte sur une banquette. Une femme à la posture affaissée et au regard abattu semble absorbée par ses pensées.  Devant elle, un verre d’absinthe est reconnaissable à sa couleur nacrée. Son voisin, un homme au verre de vin rouge, il détourne le regard d’un air blasé, fumant sa pipe et scrutant la salle, hors champ pour le spectateur.

La composition audacieuse d’Edgar Degas renforce le sentiment de solitude et d’aliénation des personnages, disposés le long d’une diagonale ascendante que forment les tables. Celle-ci crée à la fois une séparation visuelle et une perspective fuyante qui isolent les protagonistes du spectateur, qui surplombe discrètement la scène, comme s’il assistait à un instant furtif, intime et poignant. Le point de vue latéral et légèrement surélevé est influencé par les estampes japonaises, qui connaissaient un véritable engouement en France depuis les années 1860. Enfin le cadrage décentré, inspiré de la photographie, crée une tension visuelle avec des vides stratégiques et des éléments coupés, renforçant le malaise qui se dégage de la toile.

Les journaux et le cendrier éparpillés avec négligence, et esquissés en quelques coups de pinceau, achèvent de souligner l’atmosphère de déroute dans le tableau. Le verre d’absinthe est central à la composition : il incarne la décadence et l’autodestruction. En effet, cette liqueur à 72°, créée à partir d’une plante neurotoxique aromatisée avec de la menthe et de l’anis, était devenu extrêmement populaire sous le Second Empire. Provoquant un fort effet d’accoutumance, voire des crises d’épilepsie à fortes doses, cet alcool fut finalement interdit à la consommation en 1915.

Edgar Degas dénonce ici les ravages de l’alcoolisme en peignant sans concession le teint pâle et les traits tirés des personnages, mais aussi leurs vêtements usés. L’actrice Ellen Andrée et le peintre-graveur Marcellin Desboutin ont servi de modèles, ajoutant ainsi une dimension personnelle et intime à l’œuvre. Mais la crédibilité de cette dernière a obligé Degas à préciser que ni l’un ni l’autre de ses amis n’étaient, en réalité, alcooliques ! Cette description de la misère urbaine n’échappa à Emile Zola, auteur de l’Assommoir, qui confia au peintre : « J’ai tout bonnement décrit, en plus d’un endroit dans mes pages, quelques-uns de vos tableaux ».

Présentée pour la première fois à Londres en 1876, Dans un café (L’Absinthe) fit scandale en raison du traitement cru du sujet. Degas l’exposa l’année suivante à la troisième exposition impressionniste. Le critique d’art Georges Rivière, écrivit alors à son propos : « Il est observateur ; il ne cherche jamais l’exagération ; l’effet est toujours obtenu par la nature elle-même, sans charge. C’est ce qui fait de lui l’historien le plus précieux des scènes qu’il nous montre. »