La troisième exposition, ouverte le 5 avril 1877 dans un appartement au 6 rue Le Peletier, fut la seule à avoir été appelée « Exposition des impressionnistes ». Principalement organisée par Gustave Caillebotte, qui finança la location du lieu, elle réunit 249 œuvres de dix-huit artistes. Claude Monet présenta une trentaine de tableaux, dont Les Dindons, réalisé en 1876.
Ce tableau s’inscrit dans le cadre d’une commande spécifique du collectionneur Ernest Hoschedé, qui souhaitait décorer le grand Salon de son château de Rottembourg à Montgeron, dans l’Essonne. Le mécène, rappelez-vous, était déjà propriétaire du fameux Impression, soleil levant. Cette commande survint à un moment délicat pour Monet, qui traversait alors de grosses difficultés financières. Claude Monet s’installa alors plusieurs mois dans un atelier à Montgeron pour concevoir ce projet décoratif.
Conformément à son goût pour les scènes de nature et de vie quotidienne, des dindons déambulent ici dans le parc du château, peut-être échappés d’une ferme voisine. Agencés de manière apparemment aléatoire, ils picorent les hautes herbes et occupent le plus clair de la composition. La ligne d’horizon très haute fut très certainement inspirée des estampes japonaises, tout comme le cadrage, qui coupe volontairement le volatile en bas à gauche sous le cou.
Ce tableau fut exposé au printemps 1877 sous le titre Les Dindons (décoration non terminée). Cette précision est particulièrement intéressante lorsqu’on considère le format de l’œuvre. En effet, si un format vertical évoque le portrait, et un format horizontal le paysage, le format carré ne fait référence à aucun sujet (aussi deviendra-t-il, quelques décennies plus tard, le format privilégié de l’abstraction). En ce sens, nous sommes invités à considérer le tableau comme une expérimentation plastique avant tout.
Ces dindons sont rendus avec vivacité, Monet employant une touche libre et énergique en forme de virgule qui deviendra caractéristique de son œuvre. Mais s’ils nous apparaissent blancs de prime abord, une étude plus attentive révèle que leur plumage est bariolé de bleus, jaunes, verts, roses et oranges… reflétant en réalité le ciel, la végétation et la lumière environnante. Monet avait découvert avec intérêt les recherches du physicien allemand Hermann von Helmholtz. Dans son Manuel d’optique physiologique publié entre 1857 et 1867, ce dernier expliquait que le cerveau humain adapte ce qu’il voit en fonction de ce qu’il connaît. Autrement dit, notre perception est faussée par ce que nous savons. Le peintre eut alors à cœur de placer la vérité de l’impression visuelle au centre de son travail.
Monet utilise, par ailleurs, une palette de couleurs éclatante, juxtaposant des couleurs complémentaires pour créer un effet de luminosité maximal. Les caroncules rouges des oiseaux contrastent évidemment avec la teinte principalement verte de l’herbe. Mais on retrouve également l’association du bleu et de l’orange dans le ciel, ou dans la queue déployée du dindon sur la gauche. Les arbres, enfin, combinent les notes de jaune et de violet.
La réception initiale de l’œuvre fut mitigée : les critiques la trouvaient soit ridicule, soit éblouissante. L’artiste l’affectionnait tout particulièrement, suivant sa trace et cherchant à plusieurs reprises à la racheter. Les Dindons entrèrent finalement dans les collections nationales françaises à la mort de Winnarette Singer, leur ultime propriétaire, en 1943.
La Lumiere qui éclaire les dindons par leur côté ou bien par derriere donne un bel effet aussi. Savez-vous si Ernest Hoschedé a accepté cette oeuvre qu’il avait commissionnée, et l’a exposée dans son chateau?
Oui! Hoschedé a acheté les Dindons et certainement accroché l’oeuvre, mais très peu de temps car l’année suivante il s’est retrouvé ruiné et a dû vendre l’ensemble de sa collection aux enchères.