Loin de l’atmosphère de détente insouciante décrite par Renoir dans Le Bal du Moulin de la Galette, c’est une scène de labeur que présenta Alfred Sisley parmi ses quelques dix-sept envois à la troisième exposition impressionniste. Les Scieurs de long immortalise des travailleurs spécialisés dans la découpe de troncs d’arbres en planches, dans le sens de la longueur. Cette activité exige une collaboration étroite entre un « chevrier » et le « renardier », qui travaillent de concert pour manœuvrer la scie à travers le bois. Le chevrier guide la scie avec précision, maintenant l’équilibre sur le tronc et veillant à ce que les coupes soient droites ou courbées selon les besoins. Pendant ce temps, le renardier se tient en bas du tronc, tirant la scie avec force et vigueur, profitant de l’avantage de la gravité dans le processus. Ce travail lent et épuisant, demande une grande endurance physique et une coordination précise pour éviter les accidents.
Le sujet avait déjà été traité par Jean-François Millet, mais aussi par Gustave Courbet, qu’Alfred Sisley avait beaucoup admiré dans sa jeunesse. Si Millet, célèbre pour ses représentations réalistes de la vie paysanne, soulignait la noblesse du travail manuel dans une société en pleine révolution industrielle, Courbet, dans son dessin gravé et intégré dans les Chansons populaires des provinces de France de Champfleury, met en avant leur travail acharné et leur lien profond avec la nature environnante. En ce sens, Sisley se rapproche de la veine réaliste de l’impressionnisme, au même titre que Gustave Caillebotte qui peignit lui-aussi, quelques années plus tard en 1885, des scieurs de long près du pont d’Argenteuil.
Traité par Alfred Sisley, cependant, le sujet est pleinement impressionniste. Peint en plein-air avec une palette éclatante de couleurs pures, une touche divisée et vibrante, l’artiste montre, une fois encore, son intérêt inlassable pour les effets lumineux et atmosphériques. La scène se déroule par un temps très ensoleillée, vraisemblablement en milieu de journée à en juger par les ombres portées au sol. Ces dernières sont intéressantes car, conformément aux innovations révolutionnaires des impressionnistes, les ombres sont ici vertes, et non noires ou grises, comme l’enseignait l’Académie des Beaux-Arts.
Comme souvent chez Sisley, la composition est méticuleusement agencée, comme pour rationaliser un monde en perpétuelle accélération. Une ligne horizontale, entre terre et ciel, divise la toile en deux parties. Des lignes diagonales le long de la route creusent la perspective pour mener le regard vers l’environnement rural de l’arrière-plan. Mais le plus frappant est certainement le triangle formé par le cadre en bois triangulaire, repris par les structures attenantes, qui ancre solidement la scène.
Le chevrier et le renardier forment quant à eux une ligne verticale robuste. Le point de vue en légère contre-plongée confère de la monumentalité à leur travail. Mais la composition semble mener notre regard vers le ciel. Observez les variations de touche qui s’y déploient ! La toile, laissée en réserve au niveau des angles supérieurs du tableau, est visible en transparence au niveau des nuages. A contrario, des empâtements sont visibles au premier plan, comme pour aider le spectateur à ressentir la texture grumeleuse de la terre et des cailloux, mais aussi la rudesse du travail observé – non seulement par nous, mais par deux passants qui semblent avoir interrompu leur marche.
Dans La petite République française du 10 avril 1877, le travail de Sisley est qualifié de « charmant ». Quant à Emile Zola, qui fit le compte-rendu de l’Exposition consacrée aux Peintres impressionnistes dans ses « Notes Parisiennes » du 19 avril 1877, il décrivit Sisley comme paysagiste « du plus grand talent » exposant « des coins de nature d’une vérité frappante ». Les Scieurs de long sont ainsi un témoignage authentique de la vie rurale de l’époque, mettant en lumière le dur labeur de travailleurs mais aussi la beauté du paysage naturel.