En 1877, dans son compte-rendu de la troisième exposition du groupe, l’historien d’art Paul Mantz écrivit : « On ne sait pas exactement pourquoi M. Edgar Degas s’est classé parmi les impressionnistes. Il a une personnalité distincte et, dans le groupe des prétendus novateurs, il fait bande à part ». Si ces propos sont évidemment à nuancer, il est indéniable que l’art de Degas apparait comme singulier au sein de l’impressionnisme, loin de l’immédiateté et de la spontanéité revendiquée par ses confrères.
La Classe de danse nous transporte certes dans l’intimité d’une salle de répétition à l’Opéra de Paris, où une vingtaine de jeunes danseuses s’affairent à leurs préparatifs. Mais c’est avec une grande minutie que ce tableau horizontal dépeint l’atmosphère feutrée de la pièce, habitée d’une vingtaine de jeunes danseuses. Ces dernières s’affairent en ajustant leurs chaussons, s’étirant ou s’entraînant sur pointes. Vêtues presque à l’identique, elles revêtent chacune un tutu, un corsage serré et un collier ras-du-cou noir. Seules les ceintures jaunes, roses ou bleues, et le châle rouge de la jeune femme au premier plan, permettent de les distinguer. Mais le rôle de ces accessoires semble plutôt être d’ajouter quelques touches de couleur vive à la composition, autrement dominée par des tons ocres, jaunes et bruns de la pièce et des cheveux, bruns ou blonds foncés, des ballerines.
Degas opte ici pour un point de vue audacieux, légèrement surélevé, comme pour souligner que notre perception du monde ne correspond pas nécessairement à la perspective linéaire traditionnelle. L’espace pictural est comprimé, avec une disposition asymétrique des formes à l’avant-plan : une vaste zone au sol reste vide tandis que les danseuses sont concentrées dans les coins supérieur gauche et inférieur droit. Cette mise en scène dynamique est renforcée par l’utilisation habile de la lumière et des ombres : la pièce semble être éclairée principalement par des fenêtres sur le mur opposé, projetant des ombres délicates sur les visages des personnages et créant une ambiance mystérieuse.
Le plus surprenant est certainement le fait d’avoir coupé certaines danseuses aux bords du tableau, soulignant l’idée que la toile ne représente qu’un fragment d’un monde plus vaste qui se poursuit au-delà du cadre. Comme son contemporain Édouard Manet, Degas se considérait comme un « flâneur », un observateur averti de la vie urbaine moderne. Outre les estampes japonaises ukiyo-e (« images du monde flottant »), Edgar Degas fut très inspiré par la démocratisation de la photographie qu’elle offrait d’immortaliser des instants éphémères. Cette attention portée à la captation de l’éphémère est pleinement impressionniste, au même titre que son rendu des textures, remarquables dans La Classe de danse. Degas peint avec une variété de touche extraordinaire : les vêtements, et les accessoires colorés a fortiori sont rendus, en quelques coups de pinceau seulement. Le parquet en revanche est brossé avec de larges touches frottées.
Ainsi, en combinant une représentation réaliste de la vie de ces danseuses, représentées non sur la scène mais travaillant en amont de la représentation, et une approche novatrice de la composition et de la technique picturale, Degas transcende les limites du réalisme traditionnel, duquel il se réclamait, tout en intégrant pleinement les expérimentations impressionnistes.
Merci Charlotte pour ce tableau et votre commentaire bien intéressants. Point de vue audacieux, je suis bien d’accord, c’est comme s’il était dans un coin sous l’escalier!
Haha! tout à fait, dans un coin en retrait, et en même temps avec l’impression qu’il surplombe. Il combine différents points de vue, et cela vient vraiment des estampes japonaises.