Parmi les vingt-deux paysages envoyés par Camille Pissarro à la troisième exposition impressionniste de 1877, une vue panoramique de la plaine d’Epluches se déploie devant nos yeux aujourd’hui. Nous nous trouvons près de Pontoise, où Camille Pissarro a élu domicile en 1872. En haut à gauche, on peut reconnaître le château d’Epluches en haut à gauche, de même que la butte de Montmorency à l’horizon. La scène décrit la transition entre un orage et l’ensoleillement qui lui fait suite. Par conséquent, un arc-en-ciel vibrant se dessine au loin, ajoutant des couleurs primaires au ciel et symbolisant l’espoir et la beauté après la tempête.
La facture de Pissarro est extrêmement variée et texturée. La multitude de petites touches nerveuses, dont on imagine aisément le geste rapide qui les a posées, réussit à figer en peinture un phénomène transitoire et éphémère. Les nuages sont rendus avec des touches agitées et multidirectionnelles, avec une sensation d’immédiateté qui est au cœur de la démarche impressionniste. Par ailleurs, les coups de pinceau chargés en pigment, accrochent la lumière. La brillance de la peinture en l’huile permet au spectateur de ressentir de manière très nette l’humidité ambiante. Par ailleurs, les ombres violacées au premier plan, mais aussi à droite de la composition, traduisent à merveille la lumière morcelée due à la percée du soleil à travers les épais nuages sombres.
La composition de l’œuvre est également remarquablement dynamique, avec un réseau de diagonales croisées et de lignes courbes. L’horizon confère toutefois de la stabilité à l’œuvre. En alignement avec l’axe de l’arc-en-ciel, deux paysans se font face, et semblent entretenir une discussion. Mais Pissarro ne cherche en aucun cas à les identifier, ni à créer une quelconque anecdote autour de leur présence. Ces personnages sont des figurants et à ce titre ne servent qu’à apporter un caractère pittoresque à la scène.
Mais ce qui frappe dans ce tableau est certainement son éclat, et la luminosité qu’il dégage. Et pour cause : Camille Pissarro utilise à très bon escient l’association de teintes complémentaires, qui créent un contraste chromatique fort. Il ne se contente d’ailleurs pas de juxtaposer des zones de couleur complémentaires. Il intègre, au sein-même de plages de couleur unies à première vue, des petites touches complémentaires. Ainsi, les petites touches de rose-orangé qui font vibrer le ciel bleu, ou les petites taches rouges qui animent les arbustes à gauche.
Ces contrastes saisissants reflètent la rapidité et l’imprévisibilité des changements climatiques, mais anticipent également l’intérêt du peintre, quelques années plus tard, pour la technique néo-impressionniste, ou pointilliste, mise au point par Georges Seurat, et qui triompha lors de la dernière exposition impressionniste en 1886. Surnommé le « patriarche » de l’impressionnisme, il n’en fit pas moins le lien avec la génération suivante. Il fut le mentor et l’ami d’artistes considérés aujourd’hui par l’histoire de l’art comme post-impressionnistes, notamment Paul Cézanne, Vincent van Gogh et Paul Gauguin. Son influence sur ces artistes est indéniable.
Certainement trop en avance sur son temps, toutefois, les critiques de son travail furent néanmoins virulentes. Léon de Lora écrivit dans Le Gaulois du 10 avril 1877, concernant les paysages de Pissarro : « Vus de près, ils sont incompréhensibles et affreux; vus de loin, ils sont affreux et incompréhensibles. Ils font l’effet de rébus qui n’auraient pas de mot ». Quant à Ernest Fillonneau, dans son article « Les Impressionnistes », paru dans Le Moniteur des Arts du 20 April 1877, écrivit : « M. Pissarro devient complètement inintelligible. Il marie dans ses tableaux toutes les couleurs de l’arc-en-ciel ; il est violent, dur, brutal . D’un effet qui pourrait être acceptable, il fait une gageure contre la vue et même contre la raison ».
Merci Charlotte, cela fait plaisir de voir cette belle vue colorée en ce gris matin ici. Les critiques étaient virulentes en effet! Pour moi, j’étais distraite par les deux personnes, je n’ai pas reconnu l’effet de perspective entre les personnes et le premier rang de maisons. Je me demande si c’est du au fait de regarder le tableau sur un écran plutôt qu’en réalité, les personnes étant sombres et les maisons très brillantes, et donc mon œil et mon cerveau ont interprété cela comme “les personnes sont trop grandes par rapport aux maisons”! Mais bien sûr, les personnes doivent être sur une colline! C’est mon esprit cartésien, qu’il faut sans doute que je relax pour apprécier ce beau tableau!
Merci Odile, je suis heureuse que ce tableau vous ait plu! je l’ai trouvé très beau aussi (je ne le connaissais pas auparavant). Effectivement les personnages sont plus proches de nous que les maisons car sur une colline, mais la transition entre les plans se voit floutée par la touche qui est homogène.