Mary Cassatt, originaire de Pittsburgh, se forma à la peinture à Philadelphie avant de s’installer à Paris en 1866. Si elle retourna aux Etats-Unis durant la guerre franco-prussienne, elle revint en France à l’automne 1871 et se lassa rapidement de l’approche conservatrice enseignée dans les académies d’art parisiennes. En 1875, elle découvrit des pastels d’Edgar Degas dans la vitrine d’un marchand d’art, avant de le rencontrer en personne. Si son travail fut présenté dès 1868 au Salon, après plusieurs refus de la part du jury officiel, elle accepta en 1877 l’invitation d’Edgar Degas, d’exposer avec les impressionnistes. Elle devint ainsi l’une des seules femmes à rejoindre le groupe. Convaincue que la peinture devait s’adapter au monde moderne, Cassatt se reconnaissait dans leur démarche, aussi bien du point de vue de leurs techniques expérimentales que de leurs sujets contemporains.
Femme au collier de perles dans une loge, exposé à la quatrième exposition impressionniste en 1879, décrit magistralement l’atmosphère de la vie culturelle parisienne des années 1870. La Loge de Pierre Auguste Renoir (l’œuvre du jour 2 de ce calendrier) nous avait permis d’évoquer l’engouement pour les spectacles à cette époque. Mary Cassatt nous livre une variation autour du même sujet. Le tableau représente probablement Lydia, la sœur de l’artiste, assise sur un grand fauteuil rouge dans une loge privée de l’Opéra Garnier. Derrière elle, un grand miroir reflète les autres loges au balcon de l’opéra, créant une mise en abyme qui renforce la thématique du « voir et être vu », entre exposition et observation. Mais contrairement à Renoir, qui utilisa un point de vue impossible, l’œuvre de Cassatt installe le spectateur dans la loge, tout en permettant au spectateur de partager le point de vue de Lydia.
Le lustre allumé semble suggérer que nous sommes à l’entracte. Elégamment vêtue pour sa soirée à l’opéra, la jeune femme revêt une robe couleur pêche, agrémentée d’une fleur rouge, qui fait écho à celle dans sa coiffure. Sa tenue est complétée de gants, d’un collier de perles qui accrochent la lumière, et d’un éventail qui reprend le violet de ses yeux maquillés. Le cadrage serré autour du modèle nous invite à noter sa posture : en appui sur son coude droit, elle paraît confiante et détendue, peut-être amusée par ce qu’elle voit. Cette attitude non conventionnelle semble souligner le caractère indépendant du modèle, qui regarde davantage qu’elle ne s’offre au regard d’autrui.
La composition est soigneusement orchestrée autour d’un réseau de lignes diagonales dynamiques (formées par la position du modèle) et de courbes séduisantes (les épaules dédoublées par le miroir, mais surtout l’architecture de l’Opéra Garnier) qui guident le regard du spectateur. Le chromatisme chaleureux de la toile, dominée par les rouges, roses et orangés, est toutefois nuancé par le traitement de la lumière artificielle (Cassatt utilisa des couleurs bien plus audacieuses dans un dessin au pastel de la même année).
Outre les reflets lumineux sur la peau d’une grande subtilité, notez que la lumière ne frappe qu’un côté du visage, plongeant l’autre dans l’obscurité. Ceci pourrait être clin d’œil à la tension entre sphère publique et privée dans la société bourgeoise de l’époque, particulièrement tangible dans ce lieu d’ostentation à une époque où beaucoup de lieux de convivialité n’étaient pas accessibles aux femmes. Mais Mary Cassatt prouve bien ici sa capacité à s’imposer dans un monde d’hommes : son rendu des textures et sa liberté de touche, notamment au niveau de la robe et de l’éventail, montre une maîtrise exceptionnelle, conférant vitalité et spontanéité à la toile. Mary Cassatt fut saluée par les critiques, dont Duranty qui écrivit notamment: « Un sens d’élégance et de distinction des plus remarquables et très anglais (elle est Américaine) marque ses portraits. Mlle Cassatt mérite une attention toute particulière ».
Je ne connaissais pas du tout Mary Cassatt, c’est un beau tableau pour commencer à découvrir ses oeuvres! Merci
Bonjour Odile! Ravie de vous avoir fait connaître cette artiste fort intéressante. Il y aura une autre oeuvre d’elle dans le calendrier 😉