Calendrier impressionniste – Jour 21
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Calendrier impressionniste - Jour 21 1
Edgar Degas, Miss La La au cirque Fernando, 1879. Huile sur toile, 117 x 78 cm. The National Gallery, Londres.

Parmi les envois d’Edgar Degas à l’exposition de 1879 – officiellement des « Indépendants » plutôt que des « Impressionnistes », à la demande de Degas lui-même – le peintre reprit les mêmes sujets qui l’avaient préoccupé jusque-là. Mais il présenta également des compositions particulièrement innovantes. Miss La La au Cirque Fernando est une œuvre audacieuse non seulement par son point de vue surprenant, mais aussi par sa thématique moderne du cirque – un spectacle populaire et, à ce titre, souvent méprisé.

Miss La La, de son vrai nom Anna Albertine Olga Brown, naquit en 1858 en Prusse (actuelle Pologne) d’un père afro-américain et d’une mère blanche. Elle débuta sa carrière circassienne dès l’âge de neuf ans, parcourant l’Europe au sein de différentes compagnies. À partir de 1879, elle adopta le nom de scène de Miss La La et devint célèbre pour son numéro de « la mâchoire de fer ». Ce numéro consistait à être hissée jusqu’au plafond du cirque, suspendue par ses dents, ce qui suscita l’admiration du public pour sa force incroyable. Degas assista à plusieurs de ses représentations, produisant de nombreux dessins préparatoires de la jeune femme, dans différentes attitudes et tenues.

Dans cette œuvre vertigineuse, Degas montre Miss La La en plein vol, les jambes repliées et les bras tendus dans des directions opposées. Son justaucorps violet est orné de dorures et d’une frange blanche, créant un contraste avec sa peau brune et ses collants couleur chair. La couleur de ces derniers apparait d’ailleurs moins éclatante que les teintes quasi-complémentaires de son costume, mais aussi du fond (associant le mauve et le jaune or d’une part, l’orange et le bleu-vert d’autre part). De manière paradoxale, ce jeu de couleurs masque l’identité métissée de l’acrobate tout en la suggérant. De surcroît, le point de vue en contre-plongée cache son visage et son expression, dissimulant par là-même son identité.

Edgar Degas retranscrit le point de vue du public du Cirque Fernando, en plaçant le spectateur au cœur de l’action. Ainsi, il démontre à la fois la prouesse de Miss La La, mais aussi son propre tour de force d’artiste. En effet, le raccourci nécessaire à la représentation de la figure évoque les peintures de plafonds d’églises baroques et rococo, comme celles de Giovanni Battista Tiepolo, dont Degas vit des exemples lors de ses voyages en Italie dans les années 1860, puis en 1873. Ce rapprochement est d’autant plus éloquent que l’ascension de l’acrobate dans les airs, combiné à l’éclairage théâtral projecteurs, devait avoir des airs d’apothéose de sainte.

Mais au-delà du modèle, l’enjeu principal de la toile fut le placement de la figure par rapport à la voûte et au mur latéral du bâtiment – il ne s’agit pas d’un chapiteau mais bien d’une architecture en pierre et métal inaugurée en 1875, rebaptisé Cirque Medrano en 1898 puis démoli en 1973. La perspective du plafond, de même que la représentation des fenêtres, poutres et arcades ont représenté un réel défi pour Degas. Le corps de la jeune femme s’intègre clairement à la structure : les lignes de ses bras et de ses jambes font écho aux lignes diagonales des poutres vertes inclinées, tout comme ses cuisses font écho aux supports verticaux.

Dès 1859, Edgar Degas notait dans ses carnets : « On n’a jamais fait encore les monuments ou les maisons d’en bas, en dessous, de près, comme on les voit en passant dans les rues […] d’autres sujets encore, tel que des danseuses dont on ne voit que les jambes nues, observées en pleine action ». Son goût pour les compositions inattendues fut conforté d’abord par la photographie, puis par les estampes japonaises. Après Degas, de nombreux autres artistes interprétèrent à leur manière le Cirque Fernando. Mais Renoir et Henri de Toulouse-Lautrec optèrent pour un point de vue plus traditionnel en plongée, tandis que Georges Seurat se plaça au niveau de l’arène. L’audace de Degas reste donc inégalée en termes de composition.

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Delphine
Delphine
7 mois il y a

Formidable cette analyse avec toutes ces références annexes qui enrichissent le regard que l’on porte sur l’œuvre de Degas! Merci Charlotte

Charlotte WILKINS
Administrateur
Répondre à  Delphine
7 mois il y a

Merci beaucoup Delphine pour ce gentil commentaire 🙂

Odile Brice
Odile Brice
7 mois il y a
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Tableau surprenant et merci pour le contexte dans votre commentaire 🙂

Charlotte WILKINS
Administrateur
Répondre à  Odile Brice
7 mois il y a

Merci Odile!

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