Gustave Caillebotte, qui avait intégré le cercle des impressionnistes en 1876, s’était fait connaître avec des scènes de vie urbaine, peignant des personnages à leur balcon (cf. jour 7 de ce calendrier) et se promenant sur les boulevards parisiens (par ex. Rue de Paris, temps de pluie, présenté à la troisième exposition de 1877), intégrant l’architecture haussmanienne et la structure métallique du Pont de l’Europe surplombant la gare Saint-Lazare. A la fin des années 1870, il se laissa davantage séduire par la peinture en plein air et développa un style plus proprement impressionniste. Il continua à décrire avec naturalisme la société bourgeoise moderne, mais davantage à travers le prisme des loisirs. Partie de Bateau, acquis en 2022 par le musée d’Orsay après avoir été déclaré trésor national, fut le second tableau inscrit au catalogue de la quatrième exposition impressionniste de 1879.
Dans un plan rapproché qui monumentalise la scène, un homme regarde sur le côté en tenant fermement ses rames. Curieusement, aux Canotiers (collection particulière) présentés à l’exposition la même année, qui sont en vêtements de sport, celui-ci est en tenue de ville. Il a gardé son chapeau haut-de-forme, ayant simplement retiré sa veste pour la poser à côté de lui, comme s’il était monté précipitamment dans sa barque. L’identité du modèle principal reste inconnue, tout comme celle des personnages au fond de la composition.
Le cadrage du tableau, qui coupe les bords de la barque de même que l’homme sous le niveau des genoux, rappelle la photographie, qui était en plein essor à l’époque. Martial Caillebotte, frère du peintre, pratiquait assidûment la photographie, certains de ses clichés montrent des canotiers dans des attitudes très similaires (par exemple Maurice Minoret ramant, avant 1878), qui inspirèrent peut-être Gustave Caillebotte. L’impression d’instantané est très forte dans cette Partie de bateau : on a l’impression que l’homme est saisi en plein mouvement, ramant, mais aussi traversé par ses pensées.
La scène fut très vraisemblablement peinte à Yerres, dans l’Essonne, où la famille Caillebotte possédait une résidence de campagne. Le peintre appréciait beaucoup le parc de la propriété, mais aussi la proximité de la rivière Yerres, qui offrait des possibilités de promenade. La nature est présente, mais maîtrisée par l’homme : les saules sont taillés, et des maisons se dessinent à l’arrière-plan.
Contrairement aux premières œuvres exposées avec les peintres indépendants en 1876, Partie de bateau présente une liberté de facture typique de l’impressionnisme : le paysage, et tout particulièrement la surface de l’eau est traitée avec une juxtaposition de petites touches de couleur, laissant même apparaître en réserve la couche préparatoire sur la toile sur la gauche. Ce traitement rappelle celui des œuvres de Claude Monet : la rivière agit comme un miroir, reflétant la lumière, les arbres et les barques. Les motifs se recomposent avec du recul dans l’œil du spectateur. Les touches au niveau du costume, en revanche, sont plus précises et travaillées en hachures. Une grande subtilité est donc à l’œuvre dans la technique de Gustave Caillebotte.
L’audace de la composition, combinée à la banalité du sujet, suscita des critiques négatives à propos de l’œuvre, qu’Armand Silvestre, dans La Vie Moderne du 24 avril 1879 qualifia de « fantaisie ultra-naturaliste ». Partie de bateau fut même caricaturée dans Le Charivari, avec la légende « Partie de bateau…à vapeur » et transformant le chapeau haut-de-forme en cheminée ! Aujourd’hui, nous devons à Gustave Caillebotte la présence d’une quarantaine de chefs-d’œuvre impressionnistes dans les collections du musée d’Orsay, car celui qui avait été le mécène des impressionnistes légua, à sa mort en 1894, sa collection à l’Etat français.
Merci encore, Charlotte, pour ce tableau que l’on peut voir maintenant au musée d’Orsay… Gustave Caillebotte est un de mes peintres préférés.
C’était une très belle acquisition c’est vrai !
Cette scene me plait, et en particulier elle me rappelle la riviere à Cambridge avec les saules sur la berge (bien qu’on y fasse du « punt » donc debout avec une grande tige, on n’y voit pas de rameurs en general). Pour peindre cette scene, est-ce que l’artiste aurait eu une barque dans l’atelier avec un modèle qui posait?
Est-ce que la peinture « Canotiers » était aussi faite par Gustave Caillebote ?
Je suis amusée de voir qu’il existait un magazine avec une page entière de caricatures des peintures du Salon…! Merci pour ce tableau et votre commentaire 🙂
Merci beaucoup Odile pour votre commentaire et vos questions! Votre rapprochement avec l’Angleterre est tout à fait pertinent puisque la mode pour les sports nautiques est venue d’Angleterre!
C’est bien Gustave Caillebotte qui a peint les Canotiers, il a aussi peint et exposé des « périssoires » la même année – des longs canots à une place et à rame unique. Il était très friand de bateau lui-même (cf. l’image Les Périssoires sur l’Yerres du musée de Milwaukee aux USA).
Caillebotte s’était mis plus sérieusement au plein-air, mais le format de l’oeuvre suggère plutôt un croquis en extérieur, certainement à bord de la barque, puis retravaillé en atelier, avec en regard une ou des photographies de son frère 🙂
Merci bien