La cinquième exposition impressionniste ouvrit ses portes le 1er avril 1880, et deux jours plus tard suscita ces propos sarcastiques dans le journal Le Soir : « C’est une grande erreur de croire [qu’ils] aient renoncé à toutes les traditions anciennes. Ils en ont conservé au moins une très pieusement : celle du poisson d’avril. ». Cette manifestation marqua le début de l’effritement du groupe, avec l’absence de grands noms tels que Claude Monet, Pierre Auguste Renoir ou Alfred Sisley, qui préférèrent tenter leur chance au Salon officiel.
Parmi les dix-neuf participants, toutefois, on peut citer Henri Rouart, un artiste méconnu, pourtant membre fondateur de la Société anonyme des artistes peintres, sculpteurs, graveurs etc., et qui participa à sept des huit expositions du groupe, présentant 104 œuvres au total. Né à Paris en 1833, Henri Rouart était un ingénieur formé à l’Ecole Polytechnique. Il inventa les « pneumatiques » – le système permettant de faire circuler des rouleaux cylindriques en cuir, contenant des messages, dans un réseau de tuyaux en fer installé dans les sous-sols de Paris. En 1866, il établit une usine de fers creux à Montluçon. Sa réussite industrielle lui permit de collectionner de nombreuses œuvres d’art, mais aussi de profiter de ses déplacements professionnels pour dessiner et prendre des notes en vue de futurs tableaux.
En 1860, Rouart avait épousé Hélène Jacob-Desmalter, fille de Georges Desmalter, célèbre ébéniste. Vingt ans plus tard, Rouart exposa La Terrasse au bord de Seine à Melun, qu’il avait déjà présentée à la première exposition impressionniste et se trouve aujourd’hui au musée d’Orsay. Cette œuvre est l’une des vues des bords de Seine qu’il réalisa au Mée-sur-Seine, près de la propriété de ses beaux-parents.
Dans une composition organisée autour d’un axe oblique, mais stabilisée par une ligne d’horizon droite d’une part, et par la solidité des architectures dont on ressent le volume d’autre part, on reconnaît, au fond, les deux tours de la collégiale de Notre-Dame de Melun, et apercevoir une partie du château de Vaux-le-Pénil entre les arbres. Le regard de l’ingénieur est bien présent puisque, outre le pont métallique, se dressent à droite, quelques usines de Vaux-le-Pénil sur la rive droite. Au premier plan, deux figures féminines vêtues à la mode de l’époque ancrent le tableau dans son temps : peut-être son épouse et leur fille Hélène.
Rouart, qui avait commencé à peindre jeune, fut initialement influencé par la tradition des peintres de Barbizon. Ancien élève de Jean-François Millet, il peignit également en plein air en compagnie de Camille Corot. Mais sa rencontre avec Edgar Degas, d’abord sur les bancs du lycée Louis-le-Grand à Paris, puis à nouveau lors du siège de Paris en 1870, fut décisive et explique son attrait, comme d’autres impressionnistes pour les paysages modernes des bords de Seine.
Le style de ce tableau semble constituer une synthèse entre ces deux « écoles ». Le traitement velouté des feuillages évoque le travail de Corot, mais avec une palette bien plus lumineuse, bien qu’assez fidèle aux tons locaux, constituée majoritairement d’ocres, de verts et de bleus pour le ciel. L’intérêt Henri Rouart pour les effets atmosphériques est sensible dans sa manière de rendre l’ensoleillement avec les ombres franches du premier plan, bien-sûr colorées et avec touches plus franches, vibrantes et irrégulières, à la manière impressionniste. Lorsque le tableau fut exposé en 1874, le féroce Louis Leroy parla à leur propos de « torchonné du ton » à propos des ombres dans le Charivari, poursuivant : « Ah ! Corot, Corot, que de crimes on commet en ton nom ! C’est toi qui as mis à la mode cette facture lâchée, ces frottis, ces éclaboussures ».
L’arrière-plan, en revanche, présente une facture plus légère. L’ensemble montre un souci d’harmonie qui fut relevé par le critique Armand Silvestre, qui qualifia La Terrasse au bord de Seine à Melun comme étant « d’un ton très fin et très distingué » dans La Vie moderne du 1er mai 1880. Quoi qu’il en soit, Henri Rouart se trouva au cœur de la problématique des impressionnistes et, par un amusant jeu de mariages, se trouva même intimement lié à plusieurs d’entre eux. Son fils Ernest épousa Julie Manet, fille de Berthe Morisot, tandis que deux autres fils, Eugène et Louis, épousèrent les filles du peintre Henry Lerolle, immortalisées par Renoir dans son tableau Jeunes filles au piano (1892).
Quel contraste pour moi puisque je découvre ce tableau juste après Rue Saint Denis de Monet du Jour 25 que je n’avais pas encore vu ! 😉 Ici, le calme !
Ooops, je voulais dire Monet Jour 24…
C’est bien vrai! Deux salles, deux ambiances !!