Etude. Torse, effet de soleil est le seul nu que Pierre Auguste Renoir ait présenté aux expositions impressionnistes. En effet, ce sujet était délaissé par la « nouvelle peinture », étant considérée comme l’apanage de l’art académique représenté au Salon (voir par exemple Nymphes et Satyre de William Bouguereau, au Salon de 1873). Dans ce tableau toutefois, on ne trouve ni narration, ni prétexte mythologique. Renoir nous plonge dans l’intimité d’une jeune femme baignant dans les rayons dorés d’un soleil estival dont elle semble se délecter de la chaleur. Entourée de feuilles, d’herbes et de fleurs, elle incarne, en quelque sorte, le nu en tant que vie florissante.
Bien plus que son ami proche Claude Monet, Renoir s’intéressait à la représentation de la figure humaine. Le modèle était une jeune femme prénommée Anna, certainement une couturière originaire de Montmartre, comme la plupart des modèles du peintre, qu’il peignait dans le jardin de son atelier rue Cortot. Comme dans le Déjeuner sur l’herbe de Manet, ses bijoux l’ancrent dans le présent – elle n’est pas une nymphe. Pour autant, le titre du tableau est clair : il ne s’agit certainement pas ici d’un portrait mais d’une étude, à savoir une expérimentation plastique.
Si la pose de la jeune femme, vue de trois quarts, est assez conventionnelle, le cadrage subtilement décentré est audacieux. Le plus frappant est toutefois la technique picturale de l’artiste et ses choix chromatiques. La peau du modèle présente une gamme frappante de couleurs, allant des jaunes aux roses, en passant par les bleus et les violets. Les ombres ne sont pas noires mais teintées de vert et de violet. Le drapé est composé de touches de bleu et de rose, hâtivement brossés. Quant au fond, il est abstrait et laisse apparaître la toile en réserve par endroits. L’ensemble évoque, dans une incroyable liberté de rendu, des rayons de soleil filtrés à travers la végétation sur la peau nue et chatoyante du modèle. Même les traits du visage de la jeune femme sont flous, comme dissous par la lumière. Toutefois, son expression sereine capte immédiatement notre regard. Le spectateur est invité à contempler la beauté et la sensualité immédiate de l’instant.
La réception de cette œuvre lors de la deuxième exposition impressionniste est fascinante. Quelques rares critiques favorables qualifièrent l’étude comme étant « bien posée et éclairée » (Blémont), et encore Armand Silvestre écrivit : « M. Renoir peint les chairs dans une gamme de rose tout à fait aimable. J’aime infiniment son ébauche de femme nue…C’est un morceau de coloriste ». Toutefois, l’avis qui marquera le public de l’époque fut la critique acerbe d’Albert Wolff, influent journaliste du Figaro qui écrivit : « Essayez donc d’expliquer à M. Renoir que le torse d’une femme n’est pas un amas de chairs en décomposition avec des taches vertes, violacées, qui dénotent l’état de complète putréfaction dans un cadavre…». Louis Enault renchérit par la suite en signalant aux lecteurs du Constitutionnel: « Une grande étude de femme nue et à laquelle certes on aurait mieux fait de passer une robe nous attriste par ses tons violacés de chair faisandée. »
Pour ces journalistes, la vision novatrice de Renoir qui peignait ce qu’il voyait, se détachant de la couleur locale, c’est-à-dire, l’apparence d’un sujet sous une lumière blanche parfaitement neutre. Cette œuvre, acquise par Gustave Caillebotte, sans doute peu après l’exposition, entra dans les collections nationales françaises avec le reste du legs Caillebotte, du vivant de Renoir.
Merci Charlotte. Ces taches de différentes couleurs qui construisent la peau ne me choquent pas, et meme, j’apprécie leur rendu, et c’est donc très intéressant pour moi de lire les réactions des critiques
Oui ! c’est typiquement un exemple d’œuvre dont on a du mal à comprendre aujourd’hui ce qui la rend si choquante. Et pourtant, elle a été très mal perçue par beaucoup. Les Fauves ont beaucoup regardé ce tableau de Renoir, on peut penser notamment à Matisse avec La Gitane