Le poisson rouge, originaire d’Asie, fut introduit en Europe au XVIIe siècle. Vers 1912, les poissons rouges devinrent un sujet récurrent dans l’œuvre d’Henri Matisse. Ils apparaissent dans pas moins de neuf de ses tableaux, ainsi que dans ses dessins et gravures. Les Poissons rouges de 1912 fait partie d’une série produite par Matisse entre le printemps et le début de l’été 1912. Cependant, la singularité de cette œuvre est que l’accent est mis sur les poissons eux-mêmes.
Couleur
Les poissons rouges attirent d’emblée notre regard en raison de leur couleur. Cet orange vif contraste fortement avec les roses et les verts plus subtils qui entourent le bocal et le fond bleu-vert. Le bleu et l’orange d’une part, le vert et le rouge d’autre part, étant des couleurs complémentaires, lorsqu’ils sont juxtaposés, ils apparaissent particulièrement lumineux.
Cette technique fut largement utilisée par les Fauves et est particulièrement frappante dans une toile plus ancienne de Matisse, Le Bonheur de vivre. Bien qu’il ait par la suite adouci sa palette, cet orange audacieux rappelle les années fauves de Matisse, qui continuèrent d’influencer son sens chromatique tout au long de sa carrière.
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L’âge d’or
Mais pourquoi Henri Matisse s’intéressait-il tant aux poissons rouges ? Une réponse possible est peut-être à trouver dans son séjour à Tanger, au Maroc, où il est resté de fin janvier à avril 1912. Matisse a remarqué la manière dont les locaux rêvaient pendant des heures, contemplant des bocaux de poissons rouges. Matisse le représenta dans Le Café arabe, un tableau plus tardif réalisé lors de son second voyage au Maroc, quelques mois plus tard.
La thématique du paradis est très présente également dans le travail de Matisse. Elle trouve son expression dans Le Bonheur de vivre, et le poissons rouges doivent être compris comme une sorte d’abréviation pour le paradis dans la peinture de Matisse. La traduction anglaise « poisson rouge » étant « poisson d’or », ces créatures sont comme les habitants parfaits d’un âge d’or idyllique.
Or, c’est bien là ce que recherchait Matisse lors de son voyage en Afrique du Nord. Il est également probable que Matisse, qui connaissait déjà en 1912 les arts de l’Islam, s’intéressait à la signification des jardins, de l’eau et de la végétation dans ces civilisations: à la fois l’évocation de la beauté de la création divine et un simulacre de paradis.
Métaphore de l’atelier
L’œuvre présente une tension picturale due à la représentation de l’espace adoptée par Matisse. Les poissons sont vus simultanément sous plusieurs angles : de face, les poissons rouges sont représentés de sorte à ce que les détails de leurs nageoires, leurs yeux et leurs bouches soient immédiatement reconnaissables par le spectateur. Vus d’en haut, en revanche, les poissons rouges sont simplement brossés par des rapides touches colorées. Quant aux plantes vues à travers la vitre transparente, elles sont déformées par rapport aux « vraies » plantes à l’arrière-plan.
Matisse rend les plantes et les fleurs de manière décorative. Le registre supérieur de la composition, au-dessus de l’aquarium, ressemble à un papier peint à motifs, composé de formes et de couleurs aplaties. De plus, le plateau est incliné vers le haut, ce qui l’aplanit et rend difficile à concevoir comment les poissons rouges et les pots de fleurs parviennent à demeurer sur la table.
Matisse a construit cette juxtaposition originale de points de vue et d’ambiguïté spatiale en observant les natures mortes de Paul Cézanne. Cézanne disait que l’art était « une harmonie parallèle à la nature ». Il est manifeste que bien que Matisse soit attentif à la nature, il ne l’imite pas mais en utilise l’image pour construire sa propre réalité picturale. Bien que cela puisse être déroutant pour le spectateur, la grande maîtrise chromatique et décorative de Matisse parvient à maintenir l’harmonie.
Ce tableau illustre certains des thèmes majeurs de la peinture de Matisse: son utilisation des couleurs complémentaires, sa quête d’un paradis idyllique, son appel à la relaxation et à la contemplation pour le spectateur et sa construction complexe de l’espace pictural.