La fête des mères: S’il y a bien un thème commun dans l’art de toutes les civilisations du monde, c’est celui de la maternité, qui a inspiré une quantité étonnante d’œuvres. Que ces représentations soient réelles ou abstraites, toutes nous informent sur la place importante tenue par ces femmes et mères au sein de la société, d’une lignée ou tout simplement d’une famille.
Découvrons des exemples d’œuvres qui, de l’Antiquité jusqu’à nos jours, mettent à l’honneur les mères, les mères-artistes, ou rendent un hommage plus universel à la maternité. Hasard ou non – ma sélection met à l’honneur plusieurs artistes-femmes !
1. Isis avec l’Enfant Horus, Basse Époque (vers 680-640 avant J.C.)
Parmi les nombreuses représentations antiques de la maternité, la déesse Isis est l’une des figures les plus fascinantes. Dans la culture de l’Égypte ancienne, Isis incarnait l’idéal féminin et le modèle de toutes les reines.
Elle était certes l’épouse loyale du Dieu Osiris, mais aussi et surtout une puissante magicienne. Selon la mythologie égyptienne, c’est Isis qui parvint à trouver et assembler les morceaux du corps d’Osiris après qu’il fût démembré par son frère Seth, jaloux de son pouvoir. Ayant ramené son époux à une forme de vie, elle conçut un enfant : Horus, associé par la suite aux pharaons d’Egypte dans le monde des vivants.
Cette statuette en bronze montre la déesse avec son fils Horus sur ses genoux. Isis porte la main à son sein, indiquant qu’elle est sur le point de l’allaiter. Mais l’attitude figée des deux personnages, placés perpendiculairement l’un par rapport à l’autre, suggère que l’œuvre a une vocation plus symbolique que réaliste. Au premier millénaire avant J.C., Isis fit l’objet d’un culte important en son nom propre, qui se diffusa dans toute la Méditerranée.
La tête de vautour sur son front, de même que sa coiffe composée d’un disque solaire flanqué de cornes de vache (habituellement associé à la déesse Hathor) indiquent le puissant rôle de déesse-mère universelle qui incombait à Isis.
2. Sandro Botticelli, La Vierge et l'Enfant avec le jeune saint Jean-Baptiste (vers 1470-1475)
En avançant de quelques siècles dans l’histoire de l’art, le rôle de mère universelle fut indéniablement repris par la Vierge Marie, comme en témoignent les innombrables représentations de Vierges à l’Enfant, dès l’époque romaine et plus encore à partir de la fin du XIIe siècle.
Mais si cette abondance d’images peut paraître redondante, il est fascinant de comparer les multiples interprétations d’un même sujet faites par différents artistes. En effet, chacune nous informe sur son époque, au-delà des pratiques religieuses. Cet exemple est l’un de mes tableaux préférés du musée du Louvre.
Le maître du Quattrocento, Sandro Botticelli, fut célébré pour la grâce et la délicatesse de ses figures. Mais au-delà de son style élégant et graphique, son interprétation de la Vierge à l’Enfant reflète l’histoire des idées de la Renaissance florentine.
La scène se déroule dans un jardin clos, entouré de rosiers, symboles de virginité. Mais bien que la doctrine catholique atténue le lien charnel entre la Madone et son enfant, leur intimité est ici indéniable.
La tendresse des gestes, le visage poupin de l’Enfant Jésus (et de son cousin Jean-Baptiste), et la discrétion des auréoles soulignent davantage le caractère humain que divin des personnages. Ainsi revue à la lumière du courant humaniste, la figure de la Vierge devient alors plus universelle encore, puisqu’elle invoque, chez le spectateur, sa propre expérience de l’amour maternel.
3. Hyacinthe Rigaud, La Famille Léonard (1692)
Les représentations de familles contemporaines, en revanche, ne laissaient guère la place aux démonstrations de tendresse, qui auraient interféré avec la solennité nécessaire à ce type d’image. La Famille Léonard fait partie des quelques portraits de famille réalisés par le peintre Hyacinthe Rigaud, resté célèbre pour son portrait officiel du roi Louis XIV.
L’imprimeur parisien Pierre Frédéric Léonard (1665-1725) et son épouse Marie-Anne des Essarts (1670-1706) appartenaient à la haute bourgeoisie. Rigaud les peignit ici en compagnie de leur fille Marie-Anne, née en 1690. Le paysage à l’arrière-plan paysager, de même que l’abondance de drapés s’inspire des portraits d’artistes de cour tels que Van Dyck ou Peter Lely. De fait, ces codes visuels élèvent le statut social des Léonard au rang de la noblesse.
Pour autant, le peintre introduit un rapport d’intimité au sein du portrait d’apparat. Le père de famille, situé au centre, caresse délicatement l’épaule de son épouse, qui tend des cerises à sa fille. Cette dernière, qui fait l’objet d’une attention inhabituelle pour l’époque, interrompt momentanément son jeu avec le chien pour saisir les fruits. Le cadrage serré de l’œuvre, de même que les échanges de regards traduisent l’harmonie qui règne au sein de la famille, tout en respectant le décorum digne de ce type de portrait.
4. Élisabeth Louise Vigée le Brun, Madame Vigée le Brun et sa fille Jeanne-Lucie, dite Julie (1786)
L’expression du sentiment maternel devint plus courant au XVIIIe siècle. Au Salon de 1787, Élisabeth Louise Vigée le Brun exposa son autoportrait avec sa fille Julie. L’affection évidente qui se dégage du tableau tranchait avec les portraits de familles royales ou aristocratiques, si bien que l’œuvre fut rapidement surnommée La Tendresse maternelle.
Même par rapport à La Famille Léonard (ci-dessus) réalisé à peine un siècle auparavant, le contraste est saisissant. Les poses étudiées confèrent un caractère guindé à l’œuvre. Vigée le Brun, au contraire, met en avant le rapport de tendresse qu’elle entretient avec sa fille.
En cela, l’artiste était pleinement dans l’air du temps: en 1762, le philosophe des Lumières Jean-Jacques Rousseau avait publié l’Emile ou De l’Éducation, qui préconisait une relation de proximité entre parents et enfants, mais aussi une éducation qui respectait les tendances naturelles des enfants. Aussi, la spontanéité de la petite Julie est sensible dans ce tableau, comme le sont les gestes aimants de sa mère.
Mais si l’intérêt pour l’enfance est indéniable, notamment dans la fraîcheur du regard de la petite fille, l’enjeu pour Vigée le Brun était également d’affirmer son identité de femme accomplie. L’artiste, qui a su faire carrière en tant que peintre et s’imposer dans un milieu pourtant très masculin, se montre ici pleinement épanouie dans son rôle de mère.
5. Berthe Morisot, Eugène Manet et sa fille à Bougival (1881)
Cette œuvre est singulière au sein de cette sélection, car elle montre un père et non une mère… et pour cause, cette dernière se trouvait derrière son chevalet ! Berthe Morisot peignit son mari Eugène Manet avec leur fille unique Julie lors d’un séjour à Bougival. Née le 14 novembre 1878, Julie Manet devint le modèle de prédilection de sa mère, et posa régulièrement pour d’autres impressionnistes, dont Auguste Renoir.
Berthe Morisot ne cessa jamais de peindre, et fut pleinement soutenue par son mari dans sa carrière artistique. C’est d’ailleurs lui qui poussa son épouse à présenter ce tableau à l’Exposition impressionniste de 1882, alors même qu’elle était réticente. L’œuvre fut très bien reçue et le critique d’art Philippe Burty la qualifia même « d’impressionnisme par excellence ».
La scène est effectivement charmante : Eugène et Julie Manet sont installés dans le jardin de la maison située au 4 rue Princesse à Bougival, que la famille loua chaque été entre 1881 et 1884.
La petite fille est absorbée par son jeu de construction, dont le plateau est posé sur les genoux de son père, qui la regarde d’un air attendri. Plus touchant encore : la palette colorée de Berthe Morisot souligne visuellement l’intimité déjà sensible entre les personnages. Le chapeau et le pantalon du père sont traités avec des touches de rose et de violet qui répondent parfaitement aux teintes de la robe de la petite fille, et semblent même l’entourer.
6. Kwayep, Maternité (début du XXe siècle, avant 1912)
Cette sculpture en bois sculpté et peint montre une femme donnant le sein à son bébé. Mais contrairement à la sculpture d’Isis avec Horus sur le même thème, l’attitude des personnages est ici loin d’être rigide. Si les corps sont géométrisés et étirés, le contact est fermement établi entre la mère et son enfant, qu’elle tient dans ses bras, tout en le regardant avec beaucoup de tendresse.
Le maquillage bleu-violet sur les visages, de même que la coiffe de la femme, permettent d’identifier ces personnages comme appartenant à la royauté de la population Bamileke.
Or, dans le Grassland camerounais, où l’organisation sociale repose sur des chefferies, les représentations de mère à l’enfant remplissent un rôle important. En effet, c’est à partir de la naissance de son premier enfant que le roi prend le pouvoir.
Il est probable que le roi Njike II ait commandé cette sculpture de sa femme et de son premier fils à l’artiste Kwayep. Mais au-delà d’un simple symbole de fertilité et d’affirmation de la lignée, Kwayep a introduit un fort sentiment de tendresse, de même qu’un style dynamique à l’œuvre. En effet, la femme est assise sur un tabouret, mais dans un équilibre instable qui suggère un mouvement imminent et confère une étonnante spontanéité à la sculpture, comme si la reine avait été saisie sur le vif par le sculpteur.
7. Barbara Hepworth, Mère et enfant (1934)
Barbara Hepworth est une figure incontournable de la sculpture moderne britannique. Comme Henry Moore et John Skeaping, elle préconisait la taille directe, travaillant à même la pierre au lieu de passer par des maquettes ou des épreuves en plâtre. Ainsi, le rapport entre l’artiste et le matériau était sans intermédiaire et préservait toute sa vitalité.
Le sujet de la maternité découlait naturellement de cette vision, et d’autant plus à la fin des années 1920 et au début des années 1930. En effet, cette thématique se trouvait au cœur de la vie de Barbara Hepworth, qui eut un fils en 1929, puis des triplés en 1934.
Cette œuvre est intéressante car c’est la première fois que l’artiste creusait un espace entre la figure de l’enfant de celle de la mère pour les rendre indépendants. Pour autant, la mère et l’enfant restent issus du même bloc de pierre d’Ancaster. Des critiques de l’époque y ont vu une matérialisation de l’expérience de fusion puis de séparation que constitue la grossesse et l’accouchement : l’enfant, issu du corps de sa mère, est pourtant un individu à part entière.
A compter de cette date, le travail de Barbara Hepworth prit une direction plus abstraite. Elle se concentra sur la pureté des matériaux, dont elle met en valeur la dimension tactile – par exemple, ici, en polissant la pierre anglaise – tout en la façonnant dans des formes organiques qui évoquent la nature et le paysage.
8. Dorothea Lange, Migrant Mother (mars 1936)
Dorothea Lange prit sa plus célèbre photographie en 1936, alors qu’elle travaillait pour la Farm Security Administration, qui lui avait demandé de documenter la situation des agriculteurs affectés par la Grande Dépression aux Etats-Unis. En mars 1936, alors qu’elle avait terminé sa journée de travail, elle fut intriguée par un panneau le long de la route qui la mena vers un campement de cueilleurs de petit pois. Elle y rencontra une famille dont elle prit une série d’images, commençant par une vue d’ensemble puis des plans plus rapprochés de la mère, aboutissant à ce portrait mythique.
Le modèle, Florence Owens Thompson, est restée anonyme jusqu’en 1978. Dorothea Lange n’avait pas noté son nom, même si elle a vraisemblablement échangé avec la jeune femme, comme en témoignent ces notes : « Mars 1936. Famille de travailleurs agricoles migrants. Sept enfants affamés. Mère, âge 32 ans. Père, né en Californie.
Privés de tout dans un camp pour ramasseurs de petits pois, à Nipomo, Californie, parce que la récolte était en avance. Ces gens viennent de vendre leur tente pour acheter de la nourriture. Plus de 2500 personnes vivent dans ce camp, la plupart manque de tout. »
Ce cliché, parmi les plus célèbres de l’histoire de la photographie, fut amplement diffusé par la presse. A travers cette figure de mère courage d’origine Cherokee, Dorothea a su donner un visage à la Grande Dépression, à l’expression certes exténuée et inquiète, mais aussi forte, résiliente et pleine de dignité.
9. Pablo Picasso, Claude dessinant Françoise et Paloma (17 mai 1954)
Pablo Picasso peignit en 1954 ses enfants Claude et Paloma avec leur mère Françoise Gilot. Tous les regards sont concentrés vers la page blanche sur laquelle dessine Claude. Cette feuille répond à une zone blanche en haut à gauche de la composition, qui matérialise sans doute la lumière provenant d’une fenêtre.
La composition est d’une grande simplicité. Ainsi contemplés à contre-jour, les personnages sont plongés dans une lumineuse obscurité. Aussi, l’artiste utilise des plages de bleu et de vert soutenu pour mettre ses deux enfants en évidence. Leur mère, en revanche, ne se dégage du fond sombre que par quelques contours clairs. Sa silhouette forme toutefois une arche protectrice et aimante qui entoure et rassemble les enfants. La cohésion est silencieuse, mais évidente entre les trois personnages.
Picasso, en revanche, en est davantage témoin qu’acteur. Françoise Gilot a effectivement quitté Picasso en 1953, et s’est installée à Paris avec les enfants. L’artiste a peint ce tableau lors d’une de leurs visites à Vallauris à l’occasion des vacances de printemps. L’œuvre montre un style épuré et graphique, réduit à l’essentiel, qui témoigne peut-être à la fois du vide laissé par leur départ, et de leur présence discrète mais ineffaçable.
10. Louise Bourgeois, Maman (1999)
Sans doute avez-vous déjà vu, au moins en photo, l’une des gigantesques araignées créées par Louise Bourgeois ? Si le rapport de ces sculptures avec la maternité n’est pas évidente au premier regard, il suffit de se référer à leur titre, Maman, et de lire ce qu’en disait l’artiste pour comprendre que les araignées n’ont pas vocation à effrayer, malgré leur taille imposante.
C’est en 1947 que Louise Bourgeois rapprocha pour la première fois l’araignée et la figure maternelle dans un dessin. En effet, sa mère était la tête d’un atelier de restauration de tapisserie : « Comme une araignée, dira-t-elle, ma mère était une tisserande ». Au-delà de la métaphore de l’art du tissage, Louise Bourgeois voit les araignées comme des créatures intelligentes et bienveillantes, qui éliminent les parasites telles les moustiques.
La première araignée monumentale fut créée pour le hall de la Tate Modern à Londres, en acier inoxydable. Les autres versions, prévues pour l’extérieur, sont en bronze. Les gigantesques pattes de l’araignée-mère enveloppent effectivement le spectateur qui peut passer sous la sculpture, et ainsi apercevoir, sous son abdomen, son sac rempli de vingt-six œufs en marbre.
Bonjour Charlotte,
Joli panel !
Pour moi celle qui retient mon attention c’est la photo prise par Dorothea Lange ,.
On voit une femme courageuse et prête à tout pour nourrir ses enfants.
Et celle qui représente le plus la maternité est la sculpture de Kwayep : rien de plus maternelle que la maman qui allaite son enfant.
Je te dis à très bientôt
J’aime les rondeurs de Barbara Hepworth, capable de montrer l’essentiel avec tant de simplicité. Merci Charlotte.
Mes préférées sont Kwayep, l’oeuvre de Barbara Hepworth et, bien sûr l’incontournable photo de Dorothea Lange
Moi ce que je préfère c’est Botticelli
Merci, Charlotte, pour cette sélection et vos commentaires!
J’avoue que la photo de Dorothea Lange et poignante mais l’autoportrait de Vigée le Brun est superbe!
Bonne continuation pour ton blog que je continue à suivre réguliérement. Edyth Stuart Nyberg